Si on analyse uniquement la pêche en termes de « durabilité » ou d’équité dans l’accès aux « ressources » halieutiques, on oublie d’intégrer une dimension majeure dans l’évaluation de cette activité. Il ne s’agit ni de cueillette, ni d’exploitation minière, mais bien de chasse. Les mers, lacs et cours d’eau sont hérissés de pièges humains qui conduisent à la mort des dizaines (centaines) de milliards d’animaux chaque année : des animaux doués de sensibilité qui possèdent des capacités cognitives comparables à celles des vertébrés terrestres.
Les poissons
Culum Brown (biologiste, spécialiste du comportement des poissons) écrit1 :
« Parmi les vertébrés, ce sont les poissons qui ont le plus souffert d’une conception erronée de l’échelle de l’évolution. Au cours des dernières décennies, cependant, cette erreur a commencé à être corrigée. Nous nous rendons compte maintenant que, comme le reste des vertébrés, les poissons présentent un riche éventail de comportements complexes et que l’apprentissage joue un rôle central dans le développement de leur comportement. [...] Les poissons ont en réalité une mémoire à long terme impressionnante, comparable à celle de la plupart des autres vertébrés. Leur système nerveux comporte à la fois des composantes analogues et des composantes homologues à celles des mammifères, et il est capable d’à peu près la même puissance de traitement. »
Intelligence et vie sociale des poissons
Les invertébrés marins
Parmi les invertébrés, les céphalopodes (pieuvres, poulpes) présentent des capacités de mémorisation et d’apprentissage remarquables, dont l’apprentissage par observation d’un congénère2.
Des travaux effectués par le professeur Elwood (Queen’s University, Belfast) indiquent que les crabes ressentent la douleur, et s’en souviennent. Le même chercheur a constaté des réactions aux stimuli douloureux chez les crevettes3.
Lena Lindström, éthologue, souligne : « Pour ce qui est des crustacés et des mollusques, les données indiquant qu’au moins certaines espèces seraient sentientes s’accumulent, en particulier pour les crustacés décapodes (crabes, homards, crevettes, etc.), ainsi que pour les céphalopodes (pieuvres, calmars, etc.). Comme nous ne savons pas exactement quelles sont les conditions indispensables à la sentience, nous ferions mieux d’accorder le bénéfice du doute à tout être doté d’un système nerveux. Et nous devrions être plus prudents encore lorsqu’une espèce fait preuve de comportements complexes qui pourraient nécessiter une forme de conscience, comme c’est le cas pour les céphalopodes et les crustacés. »
La pêche tue douloureusement
Artisanale ou industrielle, durable ou pas, la pêche impose une agonie longue et douloureuse à la plupart de ses victimes : les animaux tirés vivants de l’eau peuvent suffoquer longtemps avant de mourir. Pris à l’hameçon, harponnés, coincés dans des filets, ou traînés dans des chaluts où ils frottent les uns contre les autres parmi des débris divers, le calvaire commence pour eux bien avant la sortie de l’eau. Lorsque la remontée forcée du chalut a lieu à partir d’une certaine profondeur, la décompression devient insoutenable ; il arrive alors que la vessie natatoire éclate, que les yeux sortent des orbites ou que l’œsophage et l’estomac sortent par la bouche4. Les poissons coincés dans les filets maillants se débattent et se blessent. Il arrive qu’ils se coupent au point de mourir vidés de leur sang. Une fois immobilisés, ils deviennent des proies faciles pour les prédateurs et les parasites. Quand les filets ne sont pas remontés tous les jours, la mort peut être très longue à venir. Lorsqu’on transpose par l’imagination les techniques employées pour capturer les poissons à des animaux terrestres qui nous sont plus familiers, on en perçoit mieux la brutalité.
La pêche induit toujours la souffrance animale, une souffrance souvent à la fois intense et prolongée.
Voir Alison Mood, "Le pire a lieu en mer : les méthodes de la pêche commerciale", Cahiers antispécistes n°34 (janvier 2012).
- dans Brown C, Laland K. and Krause J., Fish Cognition and Behaviour, Blackwell Publishing, Cambridge, UK, 2006. Cité par David Chauvet dans La mentaphobie tue les animaux, 2008, p. 39.
- Stéphane Deligeorges, « Les céphalopodes apprennent vite et bien », La Recherche n°344 (juillet 2002). Accessible en ligne.
- « Une étude révèle que les crabes ressentent eux aussi la douleur », Cordis Nouvelles, 20 mars 2009.
- Joan Dunayer, « Fish: Sensitivity Beyond the Captor’s Grasp », The Animals’ Agenda, juillet-août 1991, p. 12-18. Traduction française. Sur le thème de la souffrance causée aux animaux pêchés, voir également cette page en anglais.